Le 10 décembre, Washington et Moscou se sont retrouvés à Genève pour entamer des négociations sur les tensions en Ukraine et le contrôle des armes, notamment nucléaires. Les pourparlers ont été suivis le 2 janvier d’une réunion du conseil OTAN-Russie, puis de discussions au sein de l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) le lendemain. 

 

Rencontre entre Joe Biden et Vladimir Poutine © Patrick Semansky/AP/SIPA - Les Échos

Rencontre entre Joe Biden et Vladimir Poutine © Patrick Semansky/AP/SIPA - Les Échos

Lundi 10 décembre, Joe Biden et Vladimir Poutine ont entamé des pourparlers de huit heures dans le cadre du dialogue stratégique de sécurité. Les dirigeants des deux puissances mondiales se sont entretenus sur les tensions en Ukraine et sur le contrôle des armes nucléaires post-guerre froide. Cette rencontre a permis aux dirigeants de définir leurs revendications, mais aussi leurs limites.

Pour rappel, Moscou a annexé une partie de l’Ukraine, la Crimée en mars 2014 à la suite de la destitution d’un président pro-russe pour un président pro-européen. Récemment, Vladimir Poutine a amassé 10.000 soldats à la frontière avec le pays et l’Union Européenne craint une nouvelle invasion. L’Ukraine est une pièce maitresse dans le conflit géopolitique entre l’Occident et la Russie car le pays agit comme un rempart entre les deux.

Au cours de la discussion, Washington a déclaré vouloir des garanties contre les cyberattaques, de nouvelles négociations sur le contrôle des armes nucléaires et la stabilité stratégique. Il demande la neutralité de la Russie dans le conflit américano-chinois et son inaction vis-à-vis de l’Ukraine. Enfin, il a rappelé que Alexeï Navalny, opposant de Poutine emprisonné, devait rester en vie.

Lors de cet échange Moscou a eu trois revendications. Poutine veut le retrait des armes nucléaires américaines d’Europe. Il demande également la cessation du déploiement des forces militaires conventionnelles de l’OTAN vers les frontières de la Russie visant à y créer des infrastructures militaires. Enfin, il a demandé l’abandon officiel des plans de l’OTAN concernant l’acceptation de l’Ukraine et de la Géorgie dans l’Alliance.

Les Etats-Unis ont déjà déclaré qu’ils ne se retireraient pas d’Europe. Peu de temps après, Christine Lambrecht, Ministre allemande de la Défense, a affirmé : “Il n’est pas possible que la Russie impose ses vues aux partenaires de l’OTAN.” C’est pourquoi la dernière revendication de la Russie a été refusée sur le champ : dans un souci d’égalité, aucun pays ne peut être refusé de l’organisation mondiale sous prétexte qu’un plus gros pays ne le veut pas. Ce serait contraire au principe même de l’organisme. Il serait donc possible de déclarer les Etats-Unis vainqueurs de ce premier débat, mais ce ne serait pas prendre en compte les enjeux de ce dernier pour la Russie.

 

La Russie au cœur de la géopolitique mondiale

Selon le géopolitologue français Pascal Boniface, la Russie n’a jamais voulu gagner ce débat ni même attaquer l’Ukraine. Vladimir Poutine aurait évidemment réagi en cas d’attaque, mais son action servait surtout à le placer au cœur de la géopolitique mondiale.

Le déplacement de ses soldats à la frontière ukrainienne a permis de faire augmenter la tension mondiale, et donc d’obtenir plus facilement des concessions. Moscou a obtenu une relation directe avec Washington, sans passer par l’Europe. Le dialogue lui a permis d’être sur un pied d’égalité avec le dirigeant américain Joe Biden. Il a pu rétablir une ligne directe entre les deux capitales qui n’est pas sans rappeler le téléphone rouge existant pendant la Guerre froide.

Les Etats-Unis ont donc reconnu la Russie comme un géant géopolitique mondial. Si les effets ne sont pas immédiats puisque le pays n’a pas obtenu ses revendications, ils se verront dans le futur grâce au rôle qui lui est apporté. Pascal Boniface détaille : “en tant que géant géopolitique, un pays est écouté, respecté, craint…” Un rôle que souhaite la Russie.

Mais le pays n’est pas le seul à avoir bénéficié de cet échange. Joe Biden a montré qu’il pouvait tenir tête à la Russie et s’est ainsi défini comme le protecteur de l’Europe. Le président américain a donc pu se placer à la tête de l’Occident en ajoutant une nouvelle victoire au pays de l’Oncle Sam.

 

Une escalade des tensions encore possible

Malgré le ton cordial employé, l'escalade des tensions entre les deux pays est toujours possible. Joe Biden l’a rappelé, “les relations sont très amicales” avec le Kremlin, cependant ils “répondront avec fermeté” en cas de manquement à leurs revendications (comme l’invasion de l’Ukraine par exemple).

En Russie, le verdict est le même. Vladimir Poutine avoue trouver la réaction des Etats-Unis positive. Mais Andreï Kartapolov, vice-chef de l’état-major de la Fédération de Russie, souligne que “l’OTAN n’avait pas l’intention de réduire sa présence militaire dans la région limitrophe des frontières russes.” Il s’insurge contre le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg : “Le sens même du dialogue se perd. Et puis ils vont défendre la Lettonie, la Lituanie, la Pologne, l’Estonie ? De quel genre de menace… Peut-être des migrants ukrainiens ? Une fois de plus l’Occident ne fait qu’essayer de justifier ses actions sous couvert d’une menace inexistante.”

A l'international, ses propos ne sont pas passés inaperçus. Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a éclairci la situation : “bien sûr, tout le monde est préoccupé par l’escalade des tensions. Le dialogue [entre la Russie, les Etats-Unis et l’OTAN] est essentiel pour réduire les tensions et éviter toute confrontation.”

De nouvelles discussions sont déjà prévues, tout comme les sanctions de la part de l’Europe et de la Maison Blanche en cas de dépassement. Washington a annoncé réfléchir à diverses réactions : ils pourraient choisir d’isoler Moscou de la finance mondiale, geler les exportations vers la Russie, ou empêcher la construction du Nord Stream 2 - un gazoduc reliant la Russie à l’Allemagne en passant par la mer Baltique.

L’Union européenne a aussi annoncé vouloir imposer de "graves sanctions” en cas d’invasion de l’Ukraine. Le géopolitologue, Pascal Boniface, explique que l’Union Européenne ne souhaite pas être écartée des négociations entre les deux puissances mondiales. Les Américains lui ont assuré que ce ne serait pas le cas.

Vladimir Poutine est au cœur de la géopolitique mondiale. Tous les regards sont tournés vers la Russie et les dirigeants mondiaux attendent les prochaines actions du dompteur d’ours.

 

Amandine Rossato

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